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Journaliste depuis 30 ans, à la fois spécialiste des pays en proie à des conflits et des questions d'écologie,de protection de la nature et de société; derniers livres publiés: Guerres et environnement (Delachaux et Niestlé), L'horreur écologique (Delachaux et Niestlé), "La Grande Surveillance" (Le Seuil),une enquête sur tous les fichages (vidéo, internet, cartes bancaires,cartes médicales, telephone, etc). Et enfin "Enquête sur la biodiversité" (ed Scrinéo, coll Carnets de l'info). Aprés 20 ans au Journal du Dimanche, collabore désormais à l'hebdomadaire Politis et à Médiapart.

vendredi 18 septembre 2009

In vino veritas ? De moins en moins et surtout pas dans les foires aux vins. Petite leçon de vigne et de pinards buvables..

Vendredi 18 Septembre

Un jour viendra sans doute où notre oracle élyséen buveur d’eau organisera la restriction au vin que par ukase de la loi il faudra boire avec encore plus de modération qu’aujourd’hui. Ainsi se profile la société hygiéniste et puritaine qui prétend de plus en plus organiser notre vie tout en laissant les industriels et la grande distribution proposer aux consommateurs –quand ils ont le choix- des aliments mortifères et grossisseurs, chargés d’huiles exotiques et hydrogénés, de graisses, de sucres, de féculents, d’imitations de vitamines et de conservateurs et émulsifiants divers : regardez bien une boite de cassoulet ou de petits salés aux lentilles et vous constaterez que la proportion de viandes mal identifiées oscille entre 18 et 22 % .
En attendant que s’instaure sournoisement et progressivement une nouvelle prohibition, les grandes surfaces, pour accompagner les merdes et autres plats élaborés aux dépends de la santé et du budget (1) du consommateur, voici que s’annonce l’affaire annuelle du siécle : les foires au vin. Estomacs fragiles s’abstenir ou bien choisir soigneusement: ces soldes du pinard constituent une occasion unique, dans 80 % des bouteilles proposées, de fourguer du déboucheur d’évier aux couleurs chatoyantes et aux étiquettes aussi équivoques que rutilantes. Opération qui, dans le fond, représente le meilleur moyen de parvenir à dégoûter les Français du vin s’ils continuent à les fréquenter. Le voilà le grand complot. Avant que le bouleversement climatique ne transforme les petits clairets en vinasses lourdement chargées et ne mette à bas l’édifice patiemment échafaudé pour nous gruger, des AOC qui se sont, comme à Canaan, multipliés comme des petits pains uniquement pour faire marcher le commerce.
Toutes les vignes ne pourront pas grimper sur des collines pour conserver leurs (souvent prétendues) caractéristiques. Avertissement donc à ceux qui hurlent contre la taxe carbone : vous allez bientôt pleurer ce qui reste de buvable dans vos grands crus et autres vins de pays. Dommage car la vigne, notamment du Noa interdit depuis 1930, que je soigne en mon jardin et dont les raisins sont murs depuis huit jours raconte une bien belle et longue histoire. Encore plus passionnante que celle du tabac, du cannabis, des liqueurs de gentiane, de l’absinthe ou du café qui finiront bien par être bannis de notre société en route vers le puritanisme et le règne des peine-à-jouir.
Des vestiges archéologiques datant de 6000 ans et de Babylone mentionnent déjà clairement la vigne et le vin. Alexandre y goûta des breuvages sublimes avant d’y mourir, probablement du paludisme parce qu’il avait découvert ces nectars trop tard. Avant d’être, bien plus tard, peuplée par des Chiites qui ont fini par brûler ou défoncer les derniers magasins tenus par les derniers chrétiens de Bassora vendant un peu d’alcool et de vins, la Mésopotamie abritait les Arabes des Marais glorifiant le jus de la vigne fermenté avant que ne surgisse les diktats du Prophète. D’où sans doute cette réputation de la région d’avoir été le Paradis terrestre. Et j’ai connu un Afghanistan paradis de la vigne où ceux qui sont devenus des Taliban ou furent forcés de les suivre, ne répugnaient pas à confectionner des breuvages forts qui ne sentaient pas que la pomme. Mais il est vrai qu’en ce temps là, à Kaboul, les jolies afghanes se promenaient à visages découverts dans les rues.
D’autre part, mais on entre là dans la légende biblique, Noé aurait pas mal forcé sur le breuvage fermenté issu de sa vigne une fois débarqué de son arche et le déluge calmé. Après tant d’émotion on le comprend. Le mythe rejoint ainsi la réalité pré-historique puisque le mont Ararat sur lequel s’échoua l’Arche est à portée d’ivrogne du cœur des montagnes du Caucase où les archéologues ont identifié l’apparition d’une ou plusieurs variétés de vignes cultivées il y a 7000 ans ; époque à la laquelle les hommes, comme ceux de Mésopotamie donc, sur les bords du Tigre et de l’Euphrate, ne tiraient pas de ces plantations que du jus de raisin. Ce qui signifie clairement que les joies et les errements bachiques (avec modération, soyons politiquement correct…) des hommes et des femmes sont aussi vieux que l’agriculture. Il n’est pas surprenant que les premières traces de vignes et surtout de jarres destinées à en recueillir le produit aient donc été relevées en Géorgie, le pays où la vendange reste une institution et une fête nationales ; le pays aussi où, à la fin des années 50 du XIX éme siècle, Alexandre Dumas en voyage se vit accorder un diplôme de « très grand buveur » par le prince Tchavtchavadzé. Hommage rendu par des Géorgiens dont la grande performance était et reste de lamper leurs vins dans des hanaps de deux ou trois litres. Pour moi, ce pays est à jamais celui de la vigne et du vin. 2500 ans avant notre ère, les ancêtres des Géorgiens ayant fait école, des bas-reliefs égyptiens ont fixé pour la postérité les scènes de vendanges et de foulage du raisin. En Arménie, là ou, comme en Géorgie, les bricoleurs industriels du vin n’ont pas encore sévi partout, beaucoup de vins restent divins. Et je connais un Français, à une centaine de kilomètres de Tbilissi, qui veille avec amour et respect sur d’énormes jarres enterrées où mûrissent ses nectars qui ne doivent rien à la chimie qui ravage la production française. Dés cette époque, et toujours en Mésopotamie, le raisin qui se conservait mal, se faisait sécher au soleil. L’invention du raisin sec, produit à la portée du jardinier amateur, comme mes piments de mon jardin qui achèvent leur dessiccation, est à la fois accidentelle et contemporaine de celle du vin.
Pour ce qui concerne la France, au plus exactement la Gaule celtique, c’est dans les environs de Marseille, qui se nommait alors Massilia, quelques 600 avant notre ère, que les vignes et le raisin s’installèrent sur notre territoire. En quelques dizaines d’années, par la grâce ou la faute des Phocéens qui avait apporté cette culture et ces habitudes de Grèce, trop de pauvres piquettes très chargées en tanin, l’analyse des amphores l’a prouvé, commencèrent à concurrencer la cervoise des Gaulois qui ne laissèrent pas leur part aux chiens des Romains. Les vignes se répandirent si rapidement sous la domination de ces Romains qui les trimballaient au hasard de leurs conquêtes, qu’un siècle avant Jésus Christ, précurseur de bien des politiques agricoles, l’empereur Domitien ordonna l’arrachage de la moitié du vignoble méditerranéen français. Il faisait une concurrence déloyale à la production romaine de vin. Bien plus tard dans les années 30 du XVIII éme siècle, Louis XV en fera autant pour juguler la production de vins médiocres qui étaient de véritables « pousse-au-crime ». Sous les Romains comme sous les Louis XV et XVI, ce genre d’ukase entraîna l’augmentation des cultures pour le seul raisin, le frais et celui que l’on séchait au soleil. Des Romains aux Gaulois, la vigne gagna le nord, passant par le Bordelais et la Bourgogne. La progression fut telle qu’au Moyen Age, et pour longtemps, Paris et la région parisienne devinrent le plus grand vignoble de France.
La preuve par le passé, surtout en ces temps de réchauffement climatique, que s’offrir une ou plusieurs treilles dans un jardin de la région parisienne, même en ses départements septentrionaux, ne relève ni de la lubie ni de l’utopie. Surtout au temps de ce réchauffement climatique qui, depuis des années, avance la date de mûrissement de mes raisins divers et de toutes les vendanges. Il faut aussi se souvenir qu’une vigne s’installe pour des dizaines d’années, voire des siècles. Rien de plus résistant que les vieilles treilles : défrichant un espace oublié de mon jardin, j’en ai exhumé il y a quelques années, des rejets de ceps plantés il y a au moins 70 ans. Elles survivaient enfouies dans un amas de pierres et de ronces : quelques rameaux gros comme le poing relevés et palissés, les racines adventices qui s’étaient formées au contact du sol, coupées, elles ont donné au bout de quelques années. Notamment du Noa, cépage d’origine américaine interdit en 1930 car réputé rendre fou, comme l’absinthe. Mais cette variété et quelques autres restent insensibles à toutes les maladies ; de quoi désespérer les industriels de la chimie agricole. De quoi expliquer que beaucoup de vins bios, y compris dans mon Giennois, s’appuient sur ces variétés anciennes. Beaucoup de jardins et de terrains cachent ainsi des vignes oubliées dont on peut faire, maintenant et facilement, des boutures qui permettent de récupérer une vieille variété. Car il fut un temps pas si lointain ou presque toutes les maisons s’offraient le plaisir automnal du raisin de la treille. Il en reste encore dans Paris, dans le 20 éme et le 13 éme notamment.
Pour faire du vin, il ne faut pas (trop) rêver : il en faut quand même beaucoup (de raisin) et surtout c’est un art difficile à maîtriser si on ne veut pas imposer une redoutable piquette maison à tous les amis trop polis en visite. Par contre, avec un mini-pressoir, le jus de raisin immédiatement mis au frais pour qu’il ne fermente pas, est aussi le plaisir des dieux.
En attendant cette chance, plutôt que d’alimenter le cash-flow des grandes surfaces où les piquettes et les escroqueries coulent à flots, il faut chercher les petits producteurs et les pionniers du vin bio et leur rester fidèles. Même si, pour ces derniers, un effort reste à faire au niveau de la vinification. Mais il y a de l’espoir car le réchauffement climatique qui sonnera le glas des piquettes et vins industriels brevetés par des AOC souvent aussi mensongères que commerciales, sera leur meilleur allié.

(1) Un kilo de carottes en vrac, au marché ou en grande surface : 0,90 euros. Les mêmes carottes râpés en barquette assaisonnée de 8 (huit) grammes de vinaigrette à l’eau : entre 4 et 6 euros le kilo. Mêmes différentiels pour les pommes de terre en barquette, les radis, les herbes aromatiques venues d’Israël ou d’Argentine et les salades sous vide. Courez vérifier cette folie, regardez les étiquettes pour vérifier et que l’on me dise quelle est la suractivité d’un individu ou d’un couple qui ne laisse pas quelques minutes pour râper des carottes, éplucher des patates ou cuire une oeuf dur (oui, j’en ai vu) ou laver une salade. Lavage qui de toute façon ne chassera pas les nitrates d’une chose poussée sur lit de plastique.

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