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Journaliste depuis 30 ans, à la fois spécialiste des pays en proie à des conflits et des questions d'écologie,de protection de la nature et de société; derniers livres publiés: Guerres et environnement (Delachaux et Niestlé), L'horreur écologique (Delachaux et Niestlé), "La Grande Surveillance" (Le Seuil),une enquête sur tous les fichages (vidéo, internet, cartes bancaires,cartes médicales, telephone, etc). Et enfin "Enquête sur la biodiversité" (ed Scrinéo, coll Carnets de l'info). Aprés 20 ans au Journal du Dimanche, collabore désormais à l'hebdomadaire Politis et à Médiapart.

mercredi 17 février 2010

Au secours, je suis cerné par les robots téléphoniques et ai l'impression d'être seul au monde

Mercredi 17 février

Après une succession de « mésaventures » avec des robots téléphoniques, ceux qui m’appellent ou ceux qui prétendent me répondre, ceux qui sont décrits comme devant me simplifier la vie, je finis par me demander si je ne suis pas seul au monde et si je n’ai pas pénétré insidieusement dans un monde virtuel d’où l’homme et la femme sont en train de disparaître. Exemples en série...
Il y a quelques jours, la voix métallique issue d’un serveur EDF m’explique, alors que je suis à des milliers de kilomètres de Paris, que je n’ai pas encore réglé ma facture d’électricité. Des choix multiples connus de tous (tapez un, tapez deux, puis tapez trois, etc.) me sont proposés mais aucun ne m’offre l’occasion d’expliquer tranquillement et en deux mots que je suis à l’étranger et que le chèque libérateur de ma dette a été posté deux semaines plus tôt. Le robot a zappé l’existence de l’être humain et je comprends rapidement qu’il n’existe aucun numéro pour recevoir mes trop humaines et banales explications.
Lorsque mon fils appelle l’ANPE, non pardon «Paul emploi », il se trouve lui aussi affronté à un QCM robotique auquel il manque toujours la bonne réponse et surtout une façon humaine de s’expliquer. Le plus étonnant : dans les agences de Monsieur Paul, à quelques mètres des employés un téléphone (gratuit, quelle aubaine) permet de jouer à ce même jeu déshumanisé sans que les multiples choix offerts ne prévoient une conversation brève avec un être humain, sympa ou pas. Jusqu’au jour où, pour le chômeur, s’annonce, toujours par une voix enregistrée, la perspective de perdre de maigres indemnités : il n’a qu’à savoir causer avec les robots !
Toujours à l’étranger, France Télécom (prononcez orange) m’informe que mon mobile va être mis en « restriction d’appel » avant d’autres sanctions plus lourdes parce que l’ordinateur qui me passe un coup de fil n’a pas encore enregistré mon chèque également parti depuis longtemps à l’intention d’une mystérieuse adresse à Limoges ou à Lille, je ne sais plus trop. Faute d’expliquer, je fais un autre numéro ou après une longue attente suivant une série de choix multiples multipliés à l’infini, une autre voix me guide pour un règlement par carte de crédit. Ce qui, au passage permettra à France Télécom d’encaisser et mon chèque et mon règlement informatique. Encore de l’étranger, avec un numéro spécial, il existe la même variante aussi passionnante que coûteuse lorsque l’on veut résoudre un problème de mot de passe d’Internet dont le serveur ne veut plus.
En délicatesse (de livraison) avec une entreprise de vente par correspondance (bien fait pour moi, je n’ai qu’à acheter dans une boutique, on ne m’y reprendra plus) me propose également une litanie fascinante d’hypothèses dans laquelle je ne me retrouve pas. D’autant plus que le robot ne réagit qu’à des mots clés et finit par me dire « nous n’avons pas compris votre demande ». Je recommence en tentant d’imiter la voix du robot qui ne me comprend pas, mais c’est peine perdue et il finit par raccrocher. Preuve qu’un robot doit pouvoir lui aussi se lasser. La même expérience peut être faite encore avec la SNCF dont le serveur vocal se vante de reconnaître la moindre destination ferroviaire de France, ce qui donne lieu à de savoureuses et fantaisistes informations.
Après un vol de chéquier dans le circuit postal, j’ai du faire face à une petite avalanche de factures de téléphones portables achetés avec les chèques volés. Je ne les ai évidemment pas payé, le vol ayant été déclaré puis copie de la plainte envoyée aux opérateurs. Pourtant, la dette a continué de courir et à grossir jusqu’à une société de recouvrement lyonnaise à laquelle j’ai répondu en expliquant la situation. Peine perdue les menaces de saisie de ma maison, de ma voiture ou de mes comptes bancaires ont continué : j’ai répondu naïvement à nouveau et à plusieurs reprises jusqu’au moment où je me suis rendu compte qu’à chacune de mes lettres, c’était un ordinateur qui « éditait » automatiquement les réponses, évidemment sans les lire, encore handicapé par sa condition d’ordinateur. J’ai donc interrompu ce dialogue de sourd avec la machine. Même dialogue épistolaire surréaliste avec la Lyonnaise de Eaux qui s’obstine à me réclamer une dette imaginaire : j’écris, l’explique et en retour je reçois un courrier issu d’un ordinateur qui bégaie interminablement les mêmes réponses stéréotypées.
La même fascinante expérience de dialogues de sourds peut être expérimentée avec la plupart des serveurs vocaux des petites et grandes entreprises et des services supposés publics qui ont décidé de remplacer les salariés par des machines ; lesquelles ne réclament jamais d’augmentation de salaires et se mettent très rarement en grève. Parfois, variante passionnante, je suis interpellé par des messages écrits auxquels il est impossible de répondre Il en est même qui me demandent mon numéro de téléphone...pour me rappeler ensuite par le biais d’un autre serveur vocal. Il ne s’agit pas de dialogue mais de sommation à obtempérer sans discussion. Il y a même des messages qui fournissent gentiment un numéro de téléphone pour rappeler, numéro qui se révèle être branché...sur des serveurs vocaux. Boucle bouclée, la Société devient autiste et sourde et tout le monde (ou presque) est content d’avoir l’impression de payer moins cher.
Alors il existe deux hypothèses : ou bien je suis seul au monde et le seul à l’ignorer ou bien je suis un vieux con qui ne comprend rien à la modernité.

Avec une question subsidiaire: Nicolas Sarkozy ne serait il pas un robot qui répète sans cesse la même chose pour fatiguer le client-électeur ?

mercredi 3 février 2010

A Porto Alegre, le Forum social mondial des dix ans a fait preuve d'un certain essouflement et a tourné en rond

Mercredi 3 Février

Cet article publié il y a quelques jours sur Mediapart a provoqué de nombreuses réactions...trés contrastées.


Attablé dans l’un des restaurants populaires qui surplombent l’immense marché de Porto Alegre, Francisco Whitaker commence déjà à refaire le Forum qui vient de se terminer et évoque surtout les forums régionaux qui se dérouleront avant la fin de l’année. Pour « Chico », comme ses amis l’appellent, la réflexion sur le mouvement qu’il a contribué à inventer en 2001 deux ans après les énormes manifestations victorieuses de Seattle contre l’Organisation Mondiale du Commerce, ne s’arrête jamais. A 78 ans, cet ancien architecte brésilien de Sao Paulo reste dévoré par la passion de changer de monde, de faire se rencontrer des hommes, des femmes et des mouvements sociaux de toute la planète. Il n’esquive ni les questions ni les doutes, mais reste persuadé que le mouvement créé il y a dix ans pour faire pièce au forum de Davos conserve toujours un temps d’avance sur la faculté de récupération de la mécanique mondialisante et sur les pesanteurs de la société globalisée. Pourtant, la table ronde des responsables de ces forums décentralisés qui venait de clore les multiples échanges commencés le 25 janvier parait lui apporter un démenti : d’abord ils ne sont qu’une douzaine à la tribune pour raconter ce qui se passera dans les autres 27 forums de l’année et surtout, ce panel sur l’avenir proche de l’altermondialisme ne comptait qu’une seule femme. Chico reconnaît qu’un effort reste à faire mais assure que cet échantillonnage n’est pas représentatif de la réalité de l’évolution des participants et des militants. Sa femme émet gentiment mais fermement des doutes sur ce point. Il avoue ensuite que, par essence autogestionnaire et ne se reconnaissant aucun responsable, le Forum Social Mondial ne peut et ne veut rien imposer. Il peine donc désormais à expliquer ce qu’il fait, ce qu’il est et ce qu’il veut : « Nous avons un problème de communication, nous éprouvons des difficultés à faire savoir ce que nous sommes, ce que nous préparons. Parce qu’il est difficile de dire qui doit parler, qui doit communiquer. Ce n’est pas à notre Comité international ou aux Brésilien de le faire mais à ceux qui participent. Même difficulté pour le contenu de cette communication. Mais il est clair que sur ce point nous devrons faire rapidement des progrès. Il nous faudrait des professionnels mais sans oublier que la forme n’est pas sans influence sur le fond et que l’on ne peut pas demander aux mouvements de simplement répercuter ce que nous leur dirions de dire ». Le coeur de l’ambiguïté ressentie par beaucoup de quelques 12 000 participants se sentant parfois abandonnés par le monde.
Manifestement ce souci de « faire savoir » est au coeur de l’avenir d’un mouvement dont Chico ne sait toujours pas s’il faut l’appeler « espace » ou « mouvement ». Le défaut de communication mais probablement aussi la crise d’identité idéologique au bout de dix ans, expliquent certainement pourquoi ce Forum de 2010 à Porto Alegre a constamment hésité entre un format mondial et un format régional , au point de semer la confusion chez les militants et les journalistes. Hugo, un participant uruguayen spécialiste de l’environnement, présent dés l’origine, résume brutalement sa vision critique de la situation : « au cours des premières années le Forum Social Mondial était en lui même un événement, une proclamation évidente dont les slogans se déclinaient et s’illustraient naturellement. Que l’on soit d’accord ou non avec nous, il était à peine nécessaire d’expliquer. Le kaléidoscope des expériences, des luttes, des échecs et des réussites suffisait à nous faire comprendre, à nous situer. Le public et les journalistes n’avaient qu’à choisir, qu’à picorer puisque nous étions vraiment et concrètement l’autre monde possible. Aujourd’hui, nous bégayons. A l’exception de Lula pour qui venir ici est un rite, un retour aux sources, les hommes politiques ne nous fréquentent plus puisqu’ils ont fait le plein de nos idées pour les accommoder ou à les dénaturer à leurs façons. En fait, ici, il n’y a plus grand chose à « voler ». Même Christine Boutin qui avait fait savoir qu’elle viendrait faire son marché à Porto Alegre pour Sarkozy a annulé son voyage.
Illustration du bégaiement: vendredi matin, le séminaire de conclusion de la semaine, séance qui devait dégager et présenter les axes de l’avenir s’est transformé en une suite hétéroclite de propositions émanant d’une salle bondée : trois minutes, théoriquement, par personne pour lancer des idées. Mais d’une part, la plupart des intervenants ne « vendaient » que leur histoire ou leur préoccupation et d’autre part, surtout, j’ai alors eu la terrible impression, à quelques exceptions prés, d’avoir entendu les mêmes pétitions de principe au cours des trois premiers forums de Porto Alegre. Avec moins de fraîcheur et en prime des condamnations rituelles du capitalisme qui pour être logiques ne font plus avancer la discussion. Surtout devant un public convaincu. Porto Alègre, pour avoir eu raison avant tout le monde, pour avoir annoncé et décrit la crise, dilue inconsciemment sa « victoire » dans la ritualisation tandis que le Président français, un exemple entre d’autres, se paye de mots faussement altermondialistes au Forum de Davos.
La récupération a fonctionné et le système mondialisé s’efforce de digérer ou de banaliser la plupart des « révolutions » élaborées au cours des premières années des forums, qu’ils soient mondiaux, comme à Porto Alègre, Nairobi ou Bombay, régionaux ou locaux. Les participants de 2010 ne paraissent pas en avoir conscience ou bien, ils ne veulent pas le savoir. Alors, que contrairement à ce qui se passe dans un mouvement politique, national ou internationale, le renouvellement des générations se fait très rapidement. « Mais, dans le fond, explique Rita, une cubaine de quarante ans habituée des forums, la difficulté est peut-être là : notre mouvement n’a pas de mémoire et peu d’archives. Donc nous ne bâtissons pas en hauteur mais en largeur. Nous juxtaposons des idées ou même des réalisations sans capitaliser toutes les expériences, sans les transformer suffisamment en revendications et groupes de pression. Nous ne faisons pas assez de politique. Ce qui explique ton impression de répétition, de déjà vu ou déjà entendu. Voilà notre faiblesse. Nous sommes frappés d’amnésie » L’espace Forum Social, comme l’appelle Chico Whitaker a les défauts de ses qualités : l’autogestion limite désormais son influence alors que, malgré tout, des choses passionnantes continuent de s’y raconter. Ce que Candido Grzybowski, le sociologue Brésilien co-fondateur du Forum social en 2001 qui animait le débat sur le futur admet : « la crise a validé nos critiques et nos analyses, elle a mis en valeur les multiples solutions qui se sont encore exprimés à Porto Alegre cette année, mais nous n’avons pas su en profiter ». Avec d’autres, il admet que la crise environnementale est également une crise majeure sans parvenir à la lier vraiment avec les préoccupations anciennes des altermondialistes qui, sauf à Belém en 2009, n’ont jamais vraiment pris en considération la question de l’écologie.
Les altermondialistes ont toujours éprouvé des difficultés à sortir de la critique de l’économie, de la finance et de la mondialisation des marchés. Ce n’est pas dans leur culture. Face à ce reproche, Chico Whitaker esquive, en peu gêné, en répondant : « oui, tu as peut-être raison, mais nous n’y pouvons rien car chaque forum, à Porto Alegre ou ailleurs, n’est fait de ce que les mouvements, les groupes et les associations y apportent ; c’est vrai que ce matin, les gens ont peu évoqué l’environnement, mais ça viendra ». Les altermondialistes peinent visiblement depuis des années à mêler étroitement social, écologie et économie alors qu’à Copenhague, les écologistes l’ont fait et ont reconnu que la bataille environnementale n’avait plus aucune frontière, physique ou catégorielle, devenant ipso facto de nouveaux ou les nouveaux altermondialistes. Un renversement de la société civile, probablement lié aux inquiétudes dues au changement climatique, et sur lequel les animateurs du Forum avouent réflêchir sans trouver de solutions ; même si les débats de Porto Alegre, ont été riches en interventions sur la nature, sur le bien vivre, sur le respect des rythmes naturels. Mais ces discours et expériences émanant prioritairement des peuples indigènes sont difficilement globalisations et risquent d’être peu entendus dans un monde peuplé majoritairement de citadins.
Le Forum Social mondial a prouvé en quelques jours, qu’il reste une extraordinaire usine à idées, que tout y fonctionne parfaitement, mais aussi que l’usine parait ne plus savoir quoi fabriquer. Et la majorité de cette nébuleuse refuse, comme lui demande depuis longtemps le Français Bernard Cassen ex-membre fondateur d’Attac, de se transformer en mouvement d’appui aux gouvernements qui partagent certaines de ses valeurs sociales et économiques. Dans l’historique qu’il a brossé devant les militants, puisqu’il fut lui aussi un des inventeurs du Forum Social, il a tenu a rappeler cette position minoritaire.
Reste que les habitants de Porto Alegre aiment toujours « leur » forum, qu’ils s’efforcent de faire vivre la gestion participative de leur ville et qu’ils rêvent que cet événement s’installe définitivement chez eux. Après tout, le Forum Social Mondial enraciné au Brésil, a également prouvé par ses expériences sociales réussies que l’Amérique Latine est probablement devenu le laboratoire d’un autre Monde. Sans ce Forum, Lula ne serait sans doute jamais devenu président.


PS je poursuis mon reportage en Amérique du sud jusqu'au 13 février mais je vais m'efforcer d'éliminer le piratage de ce blog par un imbécile anglais ou américain. Mais je ne sais pas trop comment faire