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Journaliste depuis 30 ans, à la fois spécialiste des pays en proie à des conflits et des questions d'écologie,de protection de la nature et de société; derniers livres publiés: Guerres et environnement (Delachaux et Niestlé), L'horreur écologique (Delachaux et Niestlé), "La Grande Surveillance" (Le Seuil),une enquête sur tous les fichages (vidéo, internet, cartes bancaires,cartes médicales, telephone, etc). Et enfin "Enquête sur la biodiversité" (ed Scrinéo, coll Carnets de l'info). Aprés 20 ans au Journal du Dimanche, collabore désormais à l'hebdomadaire Politis et à Médiapart.

samedi 10 mai 2014

Choses vues et entendues à Slaviansk



Il y a quelques jours dans l'est de l'Ukraine (Article paru dans Politis)

Vue du centre de Slaviansk, ville de 120 000 habitants de l’Est ukrainien, la situation n’est pas simple à comprendre car la foule ne se presse pas pour soutenir les « militaires » inconnus qui ont pris le contrôle de trois bâtiments. Deux appartenant à la police et un à l’administration de la région. Pas de soutien populaire visible, mais pas non plus de grande démonstration de protestation. Les occupations en cours, les déposes de drapeaux ukrainiens remplacés par les couleurs russes ne passionnent qu’une foule clairsemée ; essentiellement des femmes et quelques miliciens munis de gourdins et de boucliers. Les habitants de cette cité située à une centaine de kilomètres de la frontière de la Fédération de Russie vaquent à leurs occupations quotidiennes habituelles, simplement préoccupés des prix alimentaires qui grimpent de jour en jour. L’assaut mené  par des forces de l’ordre ukrainiennes, avec son bilan de deux ou trois morts, n’a pas mis la ville en ébullition ; et lundi, beaucoup d’habitants ignoraient encore l’incident. En conversant, en russe, avec les occupants lourdement armées et venus sur place en camions sans immatriculation, il est facile de comprendre qu’ils ne sont pas ukrainiens mais russes. Certains ont l’accent de Samara, une ville de la Volga. A l’écart des autres, une jeune « soldat » affirme être venu de Crimée. Aveu surpris par l’un de ses responsables au visage recouvert d’une cagoule qui lui rappelle brusquement « qu’il ne faut parler à personne, même à des gens qui parlent notre langue sans accent car les espions fascistes sont partout ». Il ajoute « il faut attendre les ordres pour parler avec la population, nous devrions recevoir rapidement des renforts ».

Dans cette ville, comme pour les occupations en cours à Donetsk et dans des petites villes plus proches de la frontière, les petits commandos inconnus ont surgi avec armes et munitions mais aussi avec des provisions qui pourraient leur permettre de résister à un siège de plusieurs jours. Elles portent les mêmes indications que les rations russes qui commencent à apparaitre sur les marchés de Crimée. Le calme des occupants, à Slaviansk comme ailleurs, contraste avec l’agitation désordonnée des milices non armées qui contrôlent des rues du centre et quelques routes, protégés par des blindés légers sur roues dont nul ne peut savoir s’ils sont ukrainiens ou bien s’ils ont franchi nuitamment la frontière par la petite ville de Milove marquant la limite entre la Russie et l’Ukraine à l’extrémité nord-est de cette dernière. Les véhicules n’arborent aucune immatriculation. Dans les assemblées où l’ont élit, plus exactement où l’on désigne par acclamations, des représentants chargés « d’appeler la Russie à l’aide », les membres et responsables des commandos, ne prennent jamais la parole, se contentant d’assurer un semblant d’ordre et de ramasser des motions laborieusement discutées, comme des surveillants à la fin d’un examen.

Comme si tous savaient que la suite du théâtre d’ombres en cours dans l’Est de l’Ukraine se jouait ailleurs. Une pièce à laquelle manque manifestement l’apparente unanimité populaire qui a permis de faire accepter en Occident l’annexion de la Crimée.
Claude-Marie Vadrot


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